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Nos Nouvelles
Cap-Vert: tourisme ou tortues?
Par Olivier van Bogaert*
Émergeant des flots, elle semble porter tout le poids de l’océan : une tortue hisse péniblement sa carapace sur la dune de sable derrière laquelle elle cherchera un endroit où pondre ses œufs.
Il est minuit et la lune est pleine au-dessus d’Ervatao, un coin reculé d’une île perdue au milieu de l’Atlantique. Ici, le sable est fin et blanc, la nuit chaude malgré une brise marine soutenue. Il n’y a rien qui puisse perturber l’avancée, lente mais déterminée, du chélonien.
Quand elle aura trouvé le bout de plage convenable, la créature préhistorique entamera un rituel qui, durant deux tours d’horloge environ, l’amènera à creuser méticuleusement un trou de trente centimètres de profondeur avec ses nageoires arrière, à y déposer une quarantaine d’œufs blanchâtres et gluants, de la taille d’une balle de golf, et à recouvrir le tout avant de retourner tranquillement vers la mer, sans jamais savoir ce qu’il adviendra du fruit de ses efforts.
Plus tard, à l’heure où l’aube se lève, un autre nid libère des dizaines de minuscules tortues qui, après plusieurs jours de lutte intense, ont finalement vaincu la couche de sable protectrice et se précipitent dans le plus parfait chaos vers les vagues océanes, leur seule chance de salut.
Boa Vista – belle vue en portugais – est l’une des dix îles de l’archipel du Cap-Vert, en Afrique de l’Ouest. Et le troisième plus important site de ponte dans le monde pour les tortues caouannes, après l’île de Massirah (Sultanat d’Oman) et les Keys en Floride. Bon an, mal an, elles sont plus de trois mille à venir dans ce lieu privilégié, pourtant encore inconnu il n’y a pas si longtemps.
« Les tortues marines ont été éliminées de quasi toutes les autres îles du Cap-Vert, mais à Boa Vista, où elles sont à l’abri de la plupart des pressions, y compris humaines, elles abondent », explique le Dr. Luis Felipe Lopez, 64 ans, professeur de biologie à l’Université de Las Palmas, dans les Iles Canaries, et responsable de Natura 2000, une organisation environnementale locale dont l’objectif est de protéger la plage d’Ervatao et ses tortues.
Avec une population de 4’200 habitants seulement – concentrés essentiellement dans le petit bourg de Sal Rei – les 620km2 de Boa Vista sont restés relativement intacts. Mais pour combien de temps ?
Boom touristique : la fin des tortues ?
Paradoxalement, la principale menace qui plane sur l’île de Boa Vista – et ses tortues – vient de la splendeur des 50 kilomètres de côtes immaculées. De quoi magnétiser les adeptes du bronzage et des plaisirs nautiques. Or, si les plans actuels du gouvernement pour développer le tourisme se concrétisent, cette menace n’en deviendra que plus réelle.
En raison de la pauvreté des sols et de sécheresses régulières, guère plus de dix pour cent du territoire de l’archipel est arable. À l’instar de nombreuses autres petites îles dont les ressources sont limitées, le Cap-Vert compte sur le tourisme pour accroître ses revenus et n’hésite pas à encourager les investissements étrangers dans ce secteur. Une stratégie qui commence à payer si l’on en juge par la progression marquante du nombre de visiteurs au cours des dernières années : 67’000 en 2000, 178’000 en 2004. Près de 60 pour cent d’entre eux viennent d’Italie, d’Allemagne et du Portugal.
Boa Vista participe à cet essor. Avec plus de 1'200 lits et 12 hôtels, l’île possède la deuxième plus importante capacité hôtelière de l’archipel. Quatre établissements supplémentaires sont en construction dont deux grands complexes qui à eux seuls vont permettre de doubler l’offre actuelle. D’aucuns pensent même que celle-ci pourrait atteindre 30'000 lits d’ici 20 ans, si le développement touristique se réalise comme prévu.
Il n’est donc pas étonnant que l’île de Boa Vista ait aussi été choisie pour accueillir l’un des trois aéroports internationaux qui devraient venir s’ajouter à celui d’Amilcar Cabral, sur l’île de Sal, afin de réduire les transferts et simplifier le voyage des touristes étrangers.
Selon Ricardo Monteiro, en charge du programme du WWF au Cap-Vert, près d’un million de touristes pourraient visiter l’île chaque année dès que le nouvel aéroport sera opérationnel.
« Mais tout le processus de planification manque de transparence », critique-t-il. « Rien n’a été fait pour évaluer les conséquences potentielles, pour la population indigène, de la spéculation foncière, de l’inflation et d’une immigration accrue. De même l’impact, probablement négatif, du tourisme de masse sur la beauté scénique et les richesses naturelles de l’île n’a pas été étudié ».
Cap jaune
Quand les Portugais ont découvert les îles du Cap-Vert en 1456, la végétation y était luxuriante, d’où le nom de l’archipel. Mais les périodes d’extrême sécheresse qui se sont succédé depuis le 18ème siècle ont eu raison de cette verte opulence.
Cela n’empêche pas le Cap-Vert d’abriter une riche diversité biologique, dont un certain nombre d’animaux et de plantes que l’on ne trouve nulle part ailleurs : quatre espèces d’oiseaux – le moineau du Cap-Vert (Passer iagoensis), le martinet du Cap-Vert (Apus alexandri), la menacée alouette de Razo (Alauda razae) et la rousserolle du Cap-Vert (Acrocephalus brevipennis) – douze espèces de lézards, cinq chauve-souris et 92 espèces de plantes, parmi lesquelles Sideroxylon mermulana, un arbre très rare.
Les tortues marines et les baleines à bosse viennent se nourrir dans les eaux territoriales capverdiennes, qui sont également très poissonneuses. Des études récentes ont aussi révélé la présence de précieux récifs coralliens et d’une montagne sous-marine, la chaîne de João Valente qui, à mi-chemin entre les îles de Boa Vista et de Maio, foisonne de vie marine.
Avec l’aide du WWF et de Natura 2000, le gouvernement capverdien a identifié puis mis en place 47 zones protégées sur l’ensemble du territoire de l’archipel. EN outre, le pays a récemment signé la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES), et le marais de Curral Velho (île de Boa Vista) figurera bientôt sur la liste Ramsar des zones humides d’importance internationale.
« Il y a des signes d’espoir, le gouvernement réalise finalement qu’il doit prendre la protection de la nature et de l’environnement au sérieux », estime Céleste Benchimol, coordinatrice du projet du WWF pour la protection de la biodiversité marine et côtière au Cap-Vert. « Les autorités doivent maintenant renforcer la législation environnementale et se décider à réaliser des études d’impact dignes de ce nom, menées par des experts indépendants et non par les investisseurs eux-mêmes ! »
Le WWF craint que dans certaines régions, les zones attribuées au développement touristique touchent, voire chevauchent, les aires protégées.
« Les critères retenus pour choisir ces zones ne sont pas toujours clairs et l’absence de limites précises ainsi que de plans de gestion est courante », poursuit Céleste Benchimol.
Par exemple, un projet sur l’île de Sal prévoit de construire un port de plaisance ainsi qu’un village de vacances pour 15’000 personnes au milieu d’une aire marine protégée, où les baleines à bosse se regroupent. Autour de Praia, la capitale du Cap-Vert, des projets touristiques d’envergure sont déjà bien avancés et rappellent beaucoup les réalisations qui ont fait la notoriété des Iles Canaries, quelque 1'500 kilomètres plus au nord. Mais le modèle de l’archipel espagnol ne plaît pas nécessairement à tout le monde.
« Pour nous, le tourisme ce n’est pas seulement le soleil et la mer », assure Filomena Ribeiro, la directrice capverdienne du tourisme. « Nous ne voulons pas devenir comme les Iles Canaries. Au contraire, nous avons retenu la leçon de nos erreurs initiales, quand nous bâtissions des infrastructures touristiques tous azimuts, sans le moindre contrôle. »
Le WWF, en partenariat avec Wetlands International, aide le gouvernement et les populations locales à adopter des plans de gestion environnementaux qui leur permettront de mieux protéger les richesses marines et côtières du pays. Le projet contribue aussi à la création de nouvelles aires marines protégées et à une meilleure protection d’espèces clés, comme les baleines et les tortues.
« Vu l’importance stratégique du tourisme pour le Cap-Vert, il est vital d’élaborer une politique et des directives qui garantissent que ce secteur soit respectueux des équilibres naturels, » souligne Arona Soumare, en charge du programme du WWF sur les aires marines protégées en Afrique de l’Ouest. « En fin de compte, le gouvernement doit comprendre qu’il est préférable de déployer des activités touristiques douces sur l’ensemble du territoire plutôt que de privilégier un tourisme de masse destructeur sur des sites particuliers, comme à Boa Vista. »
Retour à la mer
Selon des récits d’explorateurs européens datant de plus de cinq cents ans, les populations locales traitaient la lèpre au moyen d’une décoction à base de sang de tortue et en suivant un régime dominé par la viande de cet animal. L’utilisation des tortues a perduré et encore aujourd’hui il arrive que des villageois au chômage en tuent sur la plage d’Ervatao pour nourrir leur famille. Cependant, comme il s’agit de l’une des espèces animales parmi les plus menacées de la planète, les écologistes sont particulièrement vigilants face au braconnage.
Natura 2000 mène un projet de protection des tortues dans le cadre duquel les scientifiques étudient le statut, l’abondance et l’aire de répartition des ces animaux au Cap-Vert. Des milliers de tortues caouannes ont déjà été marquées sur les plages de Boa Vista. D’autres sont équipées de radio-émetteurs qui permettront de suivre par satellite leurs pérégrinations marines. Natura 2000 assure également une formation régulière aux spécialistes des tortues basés au Cap-Vert et dans d’autres pays ouest africains. Enfin, Natura 2000 et le WWF développent un programme d’écotourisme basé sur l’observation des tortues.
« Nous emploierons des guides recrutés dans les communautés locales », promet Luis Felipe Lopez. « Si les villageois sont directement impliqués et profitent de la protection des tortues, Ervatao restera un paradis pour ces dernières ».
Au petit jour, sur la plage, le Dr Lopez et quelques jeunes volontaires sont déjà en train de compter, de peser et de mesurer des petites tortues caouannes nées il y a quelques jours dans l’écloserie aménagée par le projet. C’est là que sont amenés les œufs des nids les plus exposés, susceptibles d’être détruits par la marée. Une fois examinées et répertoriées, les petites tortues sont relâchées directement dans la mer.
« Ce qui advient d’elles ensuite, personne ne le sait vraiment », conclut Luis Felipe Lopez. « Mais tant qu’elles sont sur la terre ferme, nous faisons tout notre possible pour assurer leur survie ».
* Olivier van Bogaert est chargé de l’information au WWF International
NOTES:
• Les tortues caouannes vivent généralement dans les eaux côtières, principalement dans les régions subtropicales et tempérées, et suivent les courants chauds, tel le Gulf Stream, quand elles migrent. Elles atteignent leur maturité sexuelle entre l’âge de 10 et 30 ans selon certains scientifiques, entre 34 et 37 selon d’autres, il n’y a donc pas de conclusion définitive sur cette question. De même, la fréquence des nidifications n’est pas bien connue. Elle varierait entre trois et six fois par saison selon les observations effectuées. Les femelles pondent entre 40 et 190 œufs. À l’instar des autres tortues marines, la caouanne ne nidifie pas chaque année, mais tous les deux ans, selon des études américaines.
• Les tortues marines ont beau être parmi les plus vieilles créatures de la planète, elles n’en restent pas moins en grand danger. Elles sont victimes des filets de pêche et des hameçons, du braconnage, ainsi que du commerce de leur carapace, de leur peau et de leur viande. Leurs nids sont par ailleurs souvent pillés et les oeufs vendus localement. La famille des tortues marines compte sept espèces: la tortue imbriquée, la tortue verte, la tortue de Kemp, la tortue olivâtre, la tortue luth, la tortue à dos plat et la tortue caouanne. Toutes se trouvent en Annexe 1 de la CITES (ce qui signifie que leur commerce est interdit), et six d’entre elles sont au bord de l’extinction.
• La Convention sur les zones humides, signée à Ramsar, en Iran, en 1971, est un traité intergouvernemental qui sert de cadre à l'action nationale et à la coopération internationale pour la conservation et l'utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources. La Convention a, actuellement, 150 Parties contractantes qui ont inscrit 1578 zones humides, pour une superficie totale de 133,8 millions d'hectares, sur la Liste de Ramsar des zones humides d'importance internationale. Au Cap-Vert, outre le marais de Curral Velho, ceux de Lagoa de Rabil et Lagoa de Pedra Badejo sont appelés à figurer sur cette liste.